mercredi 6 octobre 2010

Arthur Janov - "Le corps se souvient"

Voici quelques extraits du livre "Le corps se souvient", écrit en 1996 par le Dr Arthur Janov.


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De son côté, dans un laboratoire de biologie, une amibe, être unicellulaire, nage dans une boîte de Pétri. Un chercheur ajoute quelques gouttes d'encre de Chine à l'eau du récipient. L'amibe absorbe le pigment et le conserve dans une vacuole. Puis il remplace l'eau polluée par de l'eau fraîche. L'amibe évacue alors les granulés d'encre, reprend son état normal et retourne à ses occupation. (...)
Le comportement de cet organisme unicellulaire microscopique si primitif est néanmoins révélateur et nous permet de mieux comprendre la névrose humaine, car il est, sous l'angle de l'évolution, le prototype du devenir humain. La manière dont l'amibe traite l'intrusion étrangère de l'encre de Chine est analogue à celle dont nous traitons nos traumatismes. dans les deux cas, un agent de stress provoque dans l'organisme une mobilisation des défenses et modifie son fonctionnement normal. L'amibe enferme les granulés indésirables dans des vacuoles; nous refoulons l'information nocive et la stockons dans notre cerveau ou, plus exactement, dans notre système limbique, ce qui nous permet de survivre malgré nos frustrations. Peut-être devrions-nous parler de mécanisme de survie, et non de névrose, pour qualifier notre comportement.(...)
Les manifestations que nous qualifions de névrotiques . nervosité et anxiété, peurs et appréhensions, "manque de confiance en soi" et "idées noires", obsessions et compulsions - sont simplement les signes extérieurs de la souffrance enfouie dans l'inconscient. Au fur et à mesure qu'elle s'accumule, le refoulement s'installe doucement, sans qu'on s'en aperçoive. Et dès qu'il nous a complètement investis, nous perdons tout contact avec ce que nous sommes. Notre organisme s'arrange pour continuer à vivre en enfonçant notre souffrance au plus profond de nous-mêmes, mais elle est toujours là. Une carence affective de l'enfance ne disparaît pas au fur et à mesure que nous grandissons. Le traumatisme refoulé demeure dans nos cellules sous forme d'empreinte (apparté - selon Arthur Janov, NOUS sommes l'empreinte...), comme l'encre de Chine dans la vacuole de l'amibe.

...La thérapie primale aide le gens à affronter cette réalité intérieure, qui n'a rien à voir avec l'estime de soi, le sentiment de valeur personnelle ou l'ego, et qui n'a que faire d'exercices de visualisation créatrice ou de renforcement d'images. C'est autour de ce besoin fondamental de l'être humain que tournent la névrose et les maux qui l'accompagnent. Tant que vous éviterez de voir en face votre véritable histoire et vos besoins insatisfaits, sur le plan social et psychologique, vous ne pourrez guérir, et l'on vous prescrira des traitements ne soignant que les symptômes. Ils seront bien entendu inopérants, et la souffrance primale (NDLR - Primal(s) : Un primal est une expérience où le sujet revit une souffrance précoce dans son contexte initial. Employé comme adjectif, primal qualifie tout ce qui renvoie aux toutes premières expériences ayant marqué le sujet.) qui est la source de vos troubles continuera à vous ronger. Les maladies d'origine émotionnelle, telles que la dépression, l'angoisse et les troubles obsessionnels compulsifs, sont généralement soignées à l'aide d'antidépresseurs ou d'électrochocs, cette dernière thérapie faisant malheureusement sa réapparition de nos jours en pédiatrie. Les traitements des affections physiologiques comme les ulcères sont de plus en plus lourds, utilisent des médicaments de plus en plus forts, et font souvent même appel à la chirurgie. Pourtant, si les gens pouvaient identifier et expérimenter la source de la douleur qui a lésé leur système, leur souffrance pourrait être évitée. Se tourner vers le besoin et non pas l'ignorer, le droguer ou le forcer à se dissimuler, telle est la seule manière de normaliser les cellules et de restaurer cet équilibre de l'organisme que l'on appelle homéostasie.

...Quelle est la cause du refoulement? la souffrance. Elle survient lorsqu'un traumatisme ou une carence précoces ont une ampleur qui excède la capacité de réaction de l'organisme. Cette souffrance stimule à son tour la production des agents du refoulement que sont les endorphines et les autres analgésiques naturels.

...Lorsque l'apparition du traumatisme a créé le besoin d'une force compensatoire, le cerveau s'est adjoint un cortex pour que nous puissions trouver une issue à nos difficultés. Nous avons ainsi acquis l'intelligence et la pensée abstraite, et nous vivons maintenant "dans notre tête", convaincus que seul l'intellect peut résoudre nos problèmes. Mais nous avons fait fausse route, puisque en utilisant les outils qui précisément invalident les sentiments, nous nous en sommes rendus intérieurement inaccessibles. Et nous sommes désormais nantis d'un mécanisme de survie qui nous rend souvent malades et nous fait parfois mourir avant l'heure.

...La carence affective de notre enfance met notre système en état d'alerte chaque fois que, pensons-nous, nos besoins ne vont pas être satisfaits. Notre corps produit alors des hormones pour pouvoir supporter le stress de ce souvenir...Or d'après notre expérience, lorsque des patients adultes affrontent et revivent les frustrations affectives de leur enfance, leur taux d'hormone de stress diminuent. Voilà donc ce qu'il faut faire si l'on veut changer les choses. Mais tant que nous continuons à refouler nos sentiments d'enfance, nous traverserons la vie partiellement inconscients. Et il semble malheureusement qu'une bonne partie de notre population soit en effet somnambule.
L'individu surmené qui, persuadé qu'il ne peut prendre de vacances, ne tient pas en place et ne s'arrête jamais, est malade. Le "big-bang" de la douleur éprouvée dans son enfance s'amortit au cours du temps et il s'efforce continuellement d'éviter le sentiment d'impuissance, passé ou présent, généré par sa souffrance initiale. Absorbé par ce refoulement, son cerveau sans cesse activé produit une énergie qui doit trouver un exutoire. Celui-ci prend généralement la forme d'une maladie. Son hyperactivité a commencé juste après sa naissance, lorsqu'on le laissant tout seul pendant des heures ou des journées entières; elle s'est développée alors qu'il se sentait négligé par une mère malade ou dépressive; elle s'est exacerbée devant l'attitude d'un père tyrannique ou hostile; et c'est à cause d'elle qu'il aura peut-être une attaque à soixante-cinq ans le laissant partiellement paralysé.

...La réalité actuelle ne peut compenser les frustrations de notre enfance. Aussi fort que l'on nous aime à l'âge adulte, nous resterons sur notre faim et ressentirons toujours le manque de cet amour qui nous a fait défaut au départ. Même si l'on ne tarit pas d'éloges sur nous, nous serons sensibles à la moindre critique, parce qu'elle fait écho à un passé où l'on nous désapprouvait sans cesse. Dans notre cerveau, "jadis" équivaut à "maintenant". Il n'y aura jamais assez d'amour dans le présent pour changer le passé, jamais assez de compliments pour compenser cette période de notre vie où nous n'avons essuyé que réprimandes ou reproches.

...Tout cela nous permet d'éclaircir certains des grands mystères de la science: qu'est-ce qu'un être humain? Qu'est-ce qu'une névrose? Pourquoi les gens sont-ils angoissés ou déprimés? Que s'est-il passé dans leur enfance? Pourquoi sont-ils tombés malades? Comment peuvent-ils guérir? En cherchant les réponses à ces questions, les scientifiques se sont enf ait éloignés des véritables solutions. Ils ont minutieusement analysé la vie humaine, ils ont démonté les êtres humaines cellule par cellule, en mesurant leur formule sanguine, leurs taux hormonaux, et il ont oublié l'être humain global. Cette méthode les a empêchés de découvrir la spécificité humaine et les raisons qui l'expliquent. Philosopher sur la nature fondamentale de l'homme ne nous a pas mieux réussi, puisque nous sommes à présent enfermés "dans notre tête", coupés des sentiments et des forces qui nous auraient donné les réponses que nous cherchions. On ne peut comprendre une "névrose"; il faut la ressentir. Les sentiments ont une logique qui leur est propre.

...Dans le traitement de la névrose, il ne peut émerger de vérité sans souffrance. Être simplement conscient de soi-même , sans le ressentir, ne veut pas dire que l'on est soi-même. On n'est alors que l'observateur objectif d'un moi coupé en deux. Réunir les deux moi est forcément douloureux, puisque c'est la douleur qui les maintient séparés. La souffrance active est la première étape importante du processus de guérison. Aussi effrayante qu'elle paraisse, nos patients ont hâte de venir au Centre (Primal Therapy Center, Centre de thérapie primale) l'éprouver, car à chaque séance, une partie de la douleur sort du système et n'aura plus besoin d'être revécue. Il n'y a rien de tel que sentir son fardeau s'alléger.
Il ne faut pas avoir peur de l'inconscient. On n'y trouve que soi-même: le nourrisson perdu et désemparé, le petit enfant innocent et triste, l'enfant qui grandit, plein de colère et de rage. En accompagnant nos patients dans les profondeurs de leur inconscient, nous n'avons toujours pas vu les mystères décrits par la littérature psychiatrique. L'inconscient n'est pas la chambre forte d'une fantasmagorie dantesque. On n'y trouve ni les démons du XVIIIe siècle ni les forces de l'ombre ou le ça des freudiens, pas de conscience mystique à laquelle aspirer, rien qui implique un processus de transcendance. Ne nous y attend finalement qu'un tout petit moi, triste et terrifié.

...Un enfant que l'on aime sent ses besoins naturels comblés. L'amour qu'on lui témoigne lui épargne toute sa souffrance. L'enfant mal-aimé souffre, lui, parce qu'il est frustré. Celui qui n'a pas manqué d'affection ne recherchera pas plus tard les compliments, car il n'a pas été dénigré. Sa valeur repose sur ce qu'il est, et non sur ce qu'il doit faire pour satisfaire les besoins parentaux. Il ne deviendra pas un adulte affligé de boulimie sexuelle. Ses parents l'auront suffisamment pris dans leurs bras et caressé, et il ne cherchera pas à utiliser la sexualité pour compenser les frustrations de son enfance. Un besoin réel s'exprime de l'intérieur vers l'extérieur et non l'inverse. le besoin d'être pris dans les bras et caressé fait partie du besoin fondamental de stimulation. Notre peau est un organe sensoriel très étendu qui, comme les autres, doit être stimulé au début de la vie, sous peine de conséquences désastreuses. Un organe non stimulé s'atrophie, et pour bien nous développer, nous devons être constamment stimulés mentalement et physiquement.
Chez l'être humain, les besoins insatisfaits prennent le pas sur toute autre activité tant qu'ils ne sont pas comblés. Ils doivent l'être pour que l'enfant puisse ressentir, pour qu'il puisse expérimenter son corps et son environnement. Dans le cas contraire, il n'éprouve que la tension provoquée par le sentiment d'être déconnecté de sa conscience. Privé de cette connexion, le névrosé ne ressent rien.
La névrose ne commence pas au moment où l'enfant refoule son premier sentiment, mais le processus névrotique s'engage. L'enfant se ferme par étapes. Chaque fois qu'il refoule et nie un besoin, il se mure un peu plus, jusqu'au moment crucial où il est définitivement découragé. Il fonctionne dès lors sur un double mode comportant un vrai et un faux moi. Le vrai moi est celui des besoins et des sentiments réels de l'organisme. Le faux moi est ce masque, cette façade qu'exigent les parents névrotiques (mon ajout: narcissiques...) pour combler leurs propres besoins. Un père qui veut se sentir respecté, parce qu'il a été constamment humilié par ses propres parents, exigera de ses enfants qu'ils lui obéissent au doigt et à l'oeil, sans jamais lui tenir tête ni lui refuser quoi que ce soit. Un parent immature voudra que son enfant grandisse rapidement et lui fera faire toute les corvées, afin que celui-ci, devenu adulte bien avant l'heure, le prenne en charge comme son propre enfant.
Un besoin parental est d'ordre implicite pour l'enfant. Quasiment dès sa naissance, il commence à s'efforcer de satisfaire ses parents. Ceux-ci l'incitent à sourire, à gazouiller, à agiter la main pour dire au revoir, à s'asseoir et à marcher, et ne cessent de le presser afin de pouvoir se glorifier de sa précocité. Il doit en grandissant accomplir des performances de plus en plus compliquée: n'avoir que des bonnes notes à l'école, se montrer serviable et s'acquitter des corvées sans broncher, être bien sage et peu exigeant, parler intelligemment et être un bon sportif. La seule chose que personne ne lui demande, c'est d'être lui-même. A chacune des milliers d'interactions avec ses parents où l'un de ses besoins personnels fondamentaux est nié, l'enfant souffre. Il ne peut être lui-même et se sentir aimé. Ces besoins frustrés, qu'on ne lui permet pas d'exprimer ni de satisfaire, lui infligent de profondes blessures qui deviendront les souffrances primales refoulées ou niées de la conscience.
Chaque fois que des parents refusent de prendre leur enfant dans les bras, chaque fois qu'ils le font taire, qu'ils le ridiculisent, qu'ils l'ignorent ou qu'ils exigent trop de lui, ils ajoutent une meurtrissure supplémentaire dans son réservoir de souffrance, que j'appelle réservoir primal. Jusqu'au jour où un événement qui n'aura rien de particulièrement traumatisant en lui-même - par exemple la centième fois où, comme d'habitude, ils confieront pour la soirée leur enfant à une baby-sitter - modifiera l'équilibre entre le vrai et faux moi et provoquera le fameux clivage. Ce moment dans la vie du petit enfant, que j'appelle "la scène primale majeure", est celui où il réalise qu'il n'a aucun espoir d'être aimé pour lui-même. Il ne s'en rend pas compte consciemment, mais va désormais se conforter aux désirs de ses parents. Il utilisera leurs mots et se conduira comme eux. Il n'agira plus de manière authentique et méconnaîtra la réalité de ses propres besoins et désirs. Très rapidement, son comportement névrotique deviendra automatique.
Plus la pression des parents est forte, plus le clivage est profond chez l'enfant entre son moi réel et son faux moi. Il se met à parler et à se déplacer comme on le lui a appris, il ne touche pas son corps aux endroits interdits (ce qui l'empêche littéralement de se sentir lui-même), il ne manifeste ni exubérance ni tristesse, etc. Le clivage est cependant nécessaire chez un enfant fragile, car ce réflexe automatique lui permet de préserver son équilibre mental. La névrose est donc une défense de l'organisme contre une réalité catastrophique dont il se protège, afin de poursuivre son développement et de maintenir son intégrité psychophysique.
Être névrosé, c'est être ce que l'on n'est pas, pour obtenir ce qui n'existe pas. L'enfant qui ne manque pas d'amour sera lui-même, car telle est la nature de l'amour, qui permet à autrui d'être ce qu'il est. Comme vous le voyez, on ne trouve pas toujours un horrible traumatisme à l'origine d'une névrose. Elle peut survenir chez l'enfant que l'on force à ponctuer toutes ses phrases d'un "s'il-vous plaît" et d'un "merci", pour bien montrer le raffinement de ses parents, ou chez celui qui n'a pas le droit de se plaindre ni de pleurer quand il est malheureux. C'est sans doute à cause de leur propre anxiété que ses parents le forcent à réprimer ses sanglot. Ceux qui ne supportent aucune manifestation de colère - une gentille petite fille est toujours de bonne humeur, un petit garçon bien élevé ne répond pas à ses parents - veulent prouver qu'ils sont des parents respectés, et l'enfant comprend très vite le rôle qu'on lui demande de jouer. C'est le désespoir de n'avoir jamais été aimé qui provoque le clivage. L'enfant doit accepter que ses besoins ne seront jamais satisfaits, quoi qu'il fasse, et il développe alors des besoins de substitution qui, eux, sont névrotiques.
Prenons l'exemple d'un enfant constamment dénigré par ses parents. A l'école, il ne cesse de bavarder et de se faire punir par son instituteur; dans la cours de récréation, il fanfaronne et se met à dos les autres enfants. Une foi adulte, il aura des exigences visiblement symboliques, en réclamant par exemple "la meilleure table de la maison" dans un restaurant de luxe. A vrai dire, obtenir cette table ne diminuera en rien son "besoin" de se sentir important, car sinon pourquoi cette scène se renouvellerait.elle chaque fois qu'il mange en ville? Coupé de son authentique besoin inconscient d'être reconnu et apprécié, il trouve un "sens" à son existence en étant accueilli comme un client de marque dans des restaurants prestigieux.
A leur naissance, les enfants ont donc des besoins biologiques dont certains, pour diverses raisons, ne sont pas satisfaits par leurs parents. Parfois, ceux-ci ne comprennent tout simplement pas les besoins de leur enfant; ou, bien, de peur de se tromper, ils suivent à la lettre les conseils d'un spécialiste éminent et vont nourrir leur enfant à heures fixes, le sevrer à la date prévue et lui apprendre la propreté dès que possible.
Je ne crois pas, néanmoins, que ces raisons puissent expliquer l'abondance exceptionnelle de névroses qu'a produites notre espèce depuis les débuts de l'histoire de l'humanité. Si tant d'enfants deviennent des névrosé, c'est, selon moi, parce que leurs parents sont toujours aux prises avec les besoins insatisfaits de leur propre enfance. Paradoxalement, une femme peut choisir d'être enceinte pour qu'on la dorlote comme un bébé, car c'est en fait ce qui lui a manqué toute sa vie. Sa grossesse, qui lui permet de satisfaire son propre besoin, n'a rien à voir avec le désir d'apporter sa contribution à la société humaine en mettant au monde et en élevant un enfant en bonne santé. Tant qu'elle se sentira le centre de l'attention, cette femme sera relativement heureuse. Mais aussitôt après l'accouchement, elle fera une grave dépression et en voudra peut-être à son enfant de l'avoir privée des égards dont elle était l'objet pendant sa grossesse. N'étant pas prête à assumer sa maternité, elle n'aura pas assez de lait pour allaiter, et le nouveau-né souffrira de mêmes carences affectives qu'elle a subies dans son enfance. Tel est le cycle apparemment sans fin qui inflige aux enfants les mêmes frustrations que leurs parents.

...Pour que nous nous développions normalement, certains besoins fondamentaux doivent être satisfaits au début de notre vie. Nourriture, chaleur, attention, affection, soins et protection nous sont nécessaires, mais avant tout, pour nous maintenir en vie, nous ne devons pas manquer d'oxygène.
Quelques minutes sans oxygène peuvent gravement endommager le cerveau ou entraîner la mort. Les êtres humains ne peuvent vivre sans oxygène, c'est évident, et ce besoin primordial fait lui aussi partie de notre sécurité affective. Être aimé, c'est sentir tous ses besoins satisfaits, à commencer par le besoin physique fondamental d'oxygène.
Malheureusement, la névrose se forme parfois avant même notre naissance. On donne trop souvent à la mère au cours de l'accouchement de fortes doses d'anesthésique pour calmer la douleur, et celui-ci agit directement sur les fonctions vitales du foetus qui n'accède plus librement à l'oxygène, ce qui peut rapidement menacer sa vie. la situation est la même lorsque le cordon ombilical est comprimé, lorsqu'il s'enroule autour du cou du bébé, ou lorsqu'une dilatation insuffisante bloque sa sortie. Il arrive aussi que le cordon ombilical soit coupé trop tôt, et l'oxygène dont a tant besoin l'enfant reste alors dans le placenta.
Lorsque le foetus manque d'oxygène, ses appareils circulatoire et respiratoire ne fonctionnent plus et son corps s'agite frénétiquement. Cette réaction normale montre qu'il lutte contre la mort, mais en l'occurrence, il vaudrait mieux pour lui ne pas se débattre, car sa panique accroît ses difficultés. On observe alors le syndrome de détresse foetale, caractérisé par une accélération du rythme cardiaque, une élévation de la tension artérielle et des difficultés respiratoires. Au Primal Center, nous voyons sans cesse nos patients revivre le traumatisme de leur naissance et les violentes réactions physiologiques qui l'ont accompagné. Celles-ci sont terriblement dangereuses, car si elles se prolongent, elles peuvent entraîner la mort, puisqu'en se débattant le foetus consomme davantage d'oxygène et aggrave donc la pénurie. Plus il lutte, plus le cordon se tend, et plus il s'asphyxie.
Deux possibilités s'offrent alors au foetus: soit sa frénésie épuise ses réserves d'oxygène et modifie l'équilibre acido-basique du sang, soit le refoulement intervient pour juguler sa panique et préserver l'oxygène nécessaire à a survie. Dans chacun des cas, le mécanisme demeure inconscient. Cette toute première réaction devient un prototype gravé chez le bébé sous forme d'"empreinte" qui resurgira plus tard, chaque fois qu'il subira un stress. non seulement, cette empreinte modèlera sa personnalité, mais c'est elle qui, à l'âge adulte, provoquera les pathologies, et même déterminera son espérance de vie.
Notre corps garde en mémoire la douleur refoulée. Le souvenir de ce manque d'oxygène, ou anoxie, va élire domicile dans les cellules, un peu comme la substance nocive qu'est l'encre de Chine dans l'exemple déjà cité. Et c'est là qu'il demeure, imprimé dans la cellule avec l'impression d'urgence et de mortel danger ressentie lors de l'événement initial, attendant son rappel à la conscience. Chez nombre d'entre nous, il y restera toute la vie et affectera indéfiniment notre santé et notre mode de fonctionnement dans le monde extérieur.
un traumatisme de naissance comportant une anoxie peut avoir des conséquence catastrophiques et susciter toute sortes de maladies infantiles, dont les allergies, l'asthme, les crises d'épilepsie, le trouble déficitaire de l'attention et la mort subite du nourrisson. Par la suite, à l'adolescence ou à l'âge adulte, il pourra provoquer dépression et tentative de suicide, syndrome de fatigue chronique, crises de panique, phobie, paranoïa et psychose.
Même si beaucoup d'entre nous n'ont pas oublié les réprimandes et les fessées qu'ils ont reçues tout petits, il semble incroyable que nos souvenirs puissent remonter jusqu'à notre naissance. Les souvenirs les plus puissants sont néanmoins ceux qui ne sont pas verbalisés. Aucun mot, aucune idée ne peuvent être utilisés pour définir ce expériences traumatisantes précoces, pour les comprendre et raisonner à leur propos.

...Pour la plupart d'entre nous, notre naissance est la toute première expérience mettant en jeu la vie et la mort. Qu'elles se traduisent par de terribles efforts couronnés de succès ou par un bref combat écourté par l'anesthésie, nos réactions seront par la suite toujours associées à l'issue de cette expérience. et comme nous avons finalement survécu, chaque fois que nous nous retrouverons dans une situation alarmante, nous réagirons de la manière qui nous a initialement maintenus en vie. Peut-être cela explique-t'il les récits de ceux qui, après avoir failli mourir, racontent que "toute leur vie est repassée devant leurs yeux" à toute allure. Soumis au terrible stress de la proximité de la mort, comme dans le cas d'une noyade, notre cerveau s'efforce de trouver dans notre histoire des indices pouvant l'aider à survivre. Ce défilement rapide aboutit finalement au prototype qu'a été notre premier combat pour la vie ou, en l'absence de traumatisme natal, à d'autres souvenir pénibles de notre petite enfance.
Si certains d'entre nous se retrouvent figés et paralysés lorsqu'ils doivent parler en public, c'est parce que l'immobilité et la paralysie ont au départ sauvé leur vie. Quelle autre explication donner à leur attitude? Parler devant un auditoire n'a rien en soi de particulièrement dramatique, et seule notre histoire peut expliquer ce malaise, dû au fait que la situation entre en résonance avec un souvenir traumatisant. Voilà pourquoi je soutiens qu'un traumatisme précoce continue à nous affecter toute notre vie. Les souvenirs de notre passé prennent constamment le pas sur notre situation actuelle et modèlent nos perceptions et nos comportements.

dimanche 3 octobre 2010

Alice Miller - "Le drame de l'enfant doué"

Voici quelques extraits du livre "Le drame de l'enfant doué", d'Alice Miller


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1/ L'enfant a un besoin inné d'être pris au sérieux et considéré pour ce qu'il est.

2/ "Ce qu'il est " signifie: ses sentiments, ses sensations et leur expression, et ce dès le stade du nourrisson.

3/ Dans une atmosphère de respect et de tolérance pour les sentiments de l'enfant, celui-ci peut, à la phase de séparation, renoncer à la symbiose avec sa mère et accomplir ses premiers pas vers l'autonomie.

4/ Pour pouvoir remplir ces conditionsd'un développement sain, il faut que les parents de ces enfants aient grandi eux aussi dans un climat de ce type. Ces parents transmettront à leur enfant le sentiment de sécurité, la sensation d'être à l'abri, qui permettront à sa confiance de se développer.

5/ Les parents qui n'ont pas bénéficié de ce climat dans leur enfance sont en état de besoin, c'est-à-dire qu'ils cherchent leur vie durant ce que leurs propres parents n'ont pas pu leur donner en temps voulu: un être pour qui ils comptent par-dessus tout, qui les comprend totalement et les prend au sérieux.

6/ Cette quête ne peut, bien entendu, jamais aboutir complètement, car elle se réfère à une situation irrévocablement révolue - à savoir, les premiers jours de la vie.

7/ Mais un être humain porteur d'un besoin inassouvi et inconscient - parce que réprimé - est sujet à la compulsion de satisfaire malgré tout ce besoin, en recourant à des moyens de rechange. Et ce tant qu'il ne connaît pas l'histoire refoulée de sa vie.

8/ Ses enfant sont les plus propres à remplir cette fonction. Un nouveau-né est entièrement à la merci de ses parent, pour le meilleur et pour le pire. Et comme sa vie même dépend de leur assistance, il fera tout pour ne pas la perdre. Dès le premier jour, il s'y emploiera avec toutes ses possibilités, comme une petite plante qui se tourne vers le soleil pour survivre.

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Pour se défendre du sentiment d'abandon vécu dans la petite enfance, l'adulte dispose d'un grand nombre de mécanismes. A côté du simple déni, nous trouvons le plus souvent le combat perpétuel, épuisant, pour assouvir les besoins refoulés, et depuis lors pervertis, à l'aide de symboles: drogues, groupes, cultes de toutes sortes, perversions. Les intellectualisations sont également fréquente, car elles offrent une protection très fiable, qui peut cependant avoir des effets funestes si le corps - comme c'est le cas dans les maladies graves - prend les commandes (cf. à ce sujet mes analyses de la maladie de Nietzsche dans La souffrance muette de l'enfant, 1990, et Abattre le mur du silence, 1991).
Tous ces mécanismes de défense s'accompagnent du refoulement de la situation initiale et des sentiments s'y rapportant.
L'adaptation aux besoins parentaux conduit souvent (mais pas toujours) au développement d'une "personnalité-comme-si" ou de ce qui est souvent appelé faux-Soi. L'enfant se conduit de manière à ne montrer que ce que l'on attend de lui, et il s'identifie complètement avec cette apparence. Son vrai Soi ne peut se développer et se différencier car il ne peut être vécu.Rien de surprenant à ce que ces patients se plaignent d'un sentiment de vide, disent que leur existence leur paraît dénuée de sens, qu'ils ne se sentent chez eux nulle part. Ce vide est réel. Il s'est effectivement produit un tarissement, un appauvrissement, un étouffement partiel de leurs possibilités. L'enfant a été blesé dans son intégrité, et cela l'a amputé de sa spontanéité, de son élan vital. Ces enfants font parfois des rêves où ils se voient à demi morts. J'en citerai deux exemples.

"Mes petits frères et soeurs se tiennent sur le pont et jettent une boîte dans la rivière. Je sais que je suis dedans, morte, et pourtant j'entends mon coeur battre. C'est toujours à ce moment-là que je m'éveille."

Ce rêve récurrent traduit l'agressivité inconsciente (envie et jalousie) de Lisa envers ses cadets, pour lesquels elle s'est toujours montrée une "mère" attentive, "tuant", pour assumer ce rôle, ses propres sentiments, désirs et exigences au moyen de formations réactionnelles. Kurt, 27 ans, rêve:

"Je vois une verte pelouse et, dessus, un cercueil blanc. J'ai peur qu'il ne renferme ma mère, mais je soulève le couvercle et par bonheur ce n'est pas ma mère, c'est moi."

Si Kurt enfant avait pu s'exprimer quand sa mère le décevait, c'est-à-dire manifester des sentiments de rage et de colère, il serait resté vivant. Mais il aurait alors perdu l'amour de sa mère, ce qui pour un enfant équivaut à la mort. Pour garder sa mère, il a donc "tué" sa colère, et du même coup une partie de son âme.
La difficulté de vivre et d'affirmer ses propres sentiments aboutit à figer le lien avec ses parent, à lui donner une permanence qui empêche toute délimitation. Car les parents ont trouvé dans le faux-Soi de l'enfant la confirmation souhaitée, un substitut de la sécurité qui leur fait défaut, et de son côté l'enfant, qui n'a pas pu construire son propre sentiment de sécurité, est consciemment d'abord, puis plus tard inconsciemment, dépendant de ses parents. Il ne peut se fier à ses propres sentiments, n'en a aucune expérience, il ne connaît pas ses vrais besoins, il est, au plus haut degré, étranger à lui-même. De ce fait, il est incapable de se séparer de ses parents et reste, à l'âge adulte, tributaire de la confirmation de personnes qui vont les représenter, comme leur partenaire, des groupes, et, surtout, ses propres enfants. Les souvenirs inconscients, refoulés, qui nous obligent à nous dissimuler à nous-mêmes notre vrai Soi sont les successeurs de nos parents. Et c'est ainsi que succédera, à notre solitude dans la maison paternelle, un isolement intérieur.

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A LA RECHERCHE DU VRAI SOI

Quelle aide pouvons-nous attendre ici de la psychothérapie? Elle ne peut nous rendre notre enfance perdue, elle ne peut changer les faits ni les effacer. On ne peut guérir les blessures par des illusions. Le paradis de l'harmonie pré-ambivalente, en lequel tant de blessés placent tous leurs espoir, est inaccessible. Mais vivre sa propre vérité, avec la connaissance post-ambivalente que nous en acquerrons, nous permet, à un niveau adulte, de retrouver notre propre monde affectif - sans paradis, mais avec la capacité de sentir et de vivre nos émotions, qui nous rendra notre élan vital, et nous aidera à nous repérer.
La thérapie parvient à un tournant lorsque le patient comprend, émotionnellement, que tout l'"amour" qu'il avait conquis au prix de tant d'efforts et de sacrifices ne s'adressait pas à celui qu'il était en réalité; que, si on admirait sa beauté et ses exploits, c'était une admiration de la beauté et des exploits mais pas de l'enfant qu'il était. Derrière la performance s'éveille alors, dans la thérapie, le petit enfant solitaire, et il se demande : "Et si je m'étais montré méchant, laid, coléreux, jaloux, perturbé? Qu'en aurait-il été de votre amour? Or tout cela, je l'étais aussi. Cela voudrait-il dire qu'en réalité ce n'est pas moi que vous aimiez, mais l'image que je donnais? L'enfant "comme il faut", sur qui on pouvait compter, sensible, compréhensif, l'enfant agréable qui au fond n'était même pas un enfant? Qu'est-il advenu de mon enfance? Ne me l'a-t'on pas volée? Je en peux pas revenir en arrière, cela je ne pourrai jamais le rattraper. Dès le départ, j'ai été un petit adulte. Mes qualité, les avez-vous tout simplement exploitées?"

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Alice Miller narre que lorseque la thérapie est amorcée...

Dans un premier temps, on se sent très vexé de n'être pas totalement bon, compréhensif, généreux, maître de soi et surtout dépourvu de besoins, alors que son estime de soi se fondait exclusivement sur cette image. mais si nous voulons vraiment nous venir en aide, il nous faut quitter la citadelle des illusion. Nous ne sommes pas toujours aussi coupables que nous en avons le sentiment, ni aussi innocents que nous aimerions le croire. Seulement, tant que nous sommes engourdis et égarés, tant que nous ne connaissons pas exactement notre propre histoire, nous ne le savons pas. Mais la confrontation avec la réalité de cette histoire aide à dissiper les illusions qui ont déformé notre vision du passé, nous permet d'être plus au clair avec nous-mêmes. Quand nous découvrons nos torts réels dans le présent, nous devons nous en excuser auprès de la personne lésée. Cela nous rend libres de liquider les sentiments de culpabilité inconscients et injustifiés venus de notre enfance. car nous n'étions pas coupables des cruautés que nous avons subies, et pourtant nous nous en sommes sentis responsables. Ce tenace, destructeur et infondé sentiment de culpabilité, nous ne pouvons en venir à bout que si nous ne commettons pas, pour nous en défendre, de nouvelles fautes, bien réelles, dans le présent.
Nombre d'hommes et de femmes reportent sur d'autres la cruauté dont ils ont jadis été victimes et de la sorte conservent l'image idéalisée de leurs parents. Au fond d'eux-mêmes, ils demeurent ainsi, et même à un âge avancé, de petits enfants dépendants. Ils ignorent qu'ils pourraient être plus authentiques, plus honnêtes envers eux-mêmes et les autres, s'ils se permettaient d'éprouver les sentiment issus du temps lointain de leur enfance.

Puis elle ajoute que...
Tous les sentiment d'impuissance, de colère et d'abandon sont vécus dans la thérapie avec une intensité qui, auparavant, aurait été inconcevable. Ils ouvrent lentement la porte, jusque-là verrouillée, aux souvenirs refoulés. On ne peut se souvenir que des choses vécues consciemment. Mais le monde affectif d'un enfant blessé dans son intégrité est déjà le résultat d'une sélection qui en a exclu l'essentiel. C'est seulement dans la thérapie que ces sentiments originels, qui s'accompagnent de la souffrance du petit enfant incapable de comprendre, sont pour la première fois vécus consciemment.

... il nous a fallu satisfaire les besoins inconscients de nos parents, au prix de notre épanouissement personnel, afin de ne pas perdre le peu que nous avions.

...pouvoir vivre notre révolte et notre chagrin de trouver nos parents non disponibles face à nos besoins élémentaires.

...De ce fait, il a développé des symptômes. Ensuite, dans la thérapie, l'adulte pourra les liquider quand les sentiments cachés derrière ces symptômes émergeront à sa conscience: horreur, désespoir et révolte, méfiance et rage impuissante.

...C'est notre vieux rêve, jamais complètement vécu, d'avoir des parents bons, loyaux, intelligents, conscients et courageux, qui peut nous entraîner à ne pas voir la mauvaise foi ou l'inconscience du thérapeute. Nous risquons de tolérer des manipulations beaucoup trop souvent, quand des thérapeutes malhonnêtes, ou des gourous de sectes, savent se donner l'air particulièrement sincère et avisé. Lorsque l'illusion répond si bien à nos besoins et à notre détresse, il faut plus longtemps pour ouvrir les yeux. Mais si nous sommes en pleine possession de nos sentiments, cette illusion-là également devra tôt ou tard être enterrée, faire place à la salutaire vérité.

...Tout enfant a le besoin légitime d'être vu, compris, pris au sérieux et respecté par sa mère. Durant les premières semaines, les premiers mois de son existence, il lui faut pouvoir disposer d'elle, en faire usage, se refléter en elle. La plus belle illustration de cette situation, nous la trouvons dans cette image de Winnicott: la mère regarde le bébé qu'elle tient dans ses bras, le bébé regarde le visage de sa mère et s'y retrouve lui-même...à condition que le re regard de la mère soit vraiment posé sur ce petit être unique, sans défense, et non sur ce qu'elle forge pour lui: ses propres attentes, ses angoisses, ses rêves, qu'elle projette sur l'enfant. Dans ce dernier cas l'enfant trouve dans le visage de sa mère non sa propre image, mais celle de la détresse de sa mère. Et lui, il reste privé de miroir, et le cherchera vainement tout le long de sa vie.

...Par "sentiment de Soi sain", j'entends la totale certitude que les sentiments et les désir éprouvés appartiennent à son propre Soi. Ce n'est pas une certitude raisonnée - elle est là, comme notre pouls, auquel nous ne prêtons aucune attention tant qu'il bat normalement.
C'est dans cet accès spontané, tout naturel, à ses sentiments et à ses désirs personnels que l'être humain puise sa force intérieure et son respect de lui-même. il a le droit de vivre ses émotions, d'être triste, désespéré ou d'avoir besoin d'aide, sans trembler de perturber quelqu'un. Il a le droit d'avoir peur quand il se sent menacé, de se fâcher quand il ne peut satisfaire ses désirs. Il sait non seulement ce qu'il ne veut pas, mais aussi ce qu'il veut, et se permet de l'exprimer - que cela lui vaille d'être aimé ou détesté.

... La plupart des patients qui ont cherché mon aide parce qu'ils souffraient de dépression avaient une mère extrêmement insécure, souvent dépressive, et qui considérait l'enfant (unique ou encore, dans bien des cas, l'aîné) comme sa propriété. Ce que cette mère n'avait pas reçu, dans son jeune âge, de sa propre mère, elle peut à présent le trouver auprès de son enfant: il est à sa disposition, accepte de lui servir d'écho, de se laisser contrôler, est totalement centré sur elle, ne l'abandonne jamais, lui accorde attention et admiration. Si elle se sent débordée par les besoins de son enfant, s'il lui en demande trop, (comme le faisait autrefois sa mère), elle n'est plus sans défense comme jadis, elle ne se laisse pas tyranniser, elle peut éduquer son enfant, de manière à ce qu'il ne crie pas et ne la dérange pas. Elle peut enfin se faire traiter avec égards et respect, réclamer ce souci de sa vie et de son bien-être que ses parents ne lui avaient guère montré.

L'individu "grandiose" est admiré en tous lieux, et il a besoin de cette admiration, il ne peut ivre sans elle. Tout ce qu'il entreprend, il lui faut le réussir brillamment - et du reste il en est capable (autrement il ne s'y lancerait pas). Il s'admire lui-même pour ses qualités: pour sa beauté, son intelligence, son talent, ses succès et ses performances. Mais malheur si l'un de ces avantages vient à lui faire défaut: la catastrophe, sous forme d'une sévère dépression, est alors imminente. Tout le monde trouve normal que des personnes malades ou âgées, qui ont subi beaucoup de pertes, ou encore par exemple des femmes en ménopause, deviennent dépressives. On oublie qu'il existe également des personnalités capables de supporter la perte de leur beauté, de leur fortune, de leur jeunesse, ou celle d'un être cher, en éprouvant certes de l'affliction, mais sans tomber dans la dépression. Et inversement il existe des gens apparemment comblés qui souffrent de graves dépressions. Pourquoi? Parce qu'on échappe à la dépression quand le sentiment de sa propre valeur s'enracine dans l'authenticité des sentiments que l'on éprouve, et non dans la possession de telles ou telles qualités. L'effondrement du sentiment de sa propre valeur chez l'individu "grandiose" montre très nettement qu'en réalité, il était suspendu en l'air, "à un ballon de baudruche" (rêve d'une patiente), qui, par bon vent, est certes monté très haut, mais subitement s'est retrouvé percé et, à présent, gît au sol comme un petit chiffon. Cet individu 'a rien pu développer de sa propre personnalité, rien qui aurait pu, plus tard, lui fournir un appui. Car à côté de la fierté qu'inspire un enfant à ses parents se cache, dangereusement proche, la honte, au cas où il décevrait leurs attentes.
Le "grandiose" ne peut renoncer sans thérapie à la tragique illusion que l'admiration équivaut à de l'amour. Souvent, une vie entière est consacrée à la poursuite de cet ersatz. Tant que les véritables besoins de l'ancien enfant, ses besoins d'expression, de respect, de compréhension, d'être pris au sérieux, ne peuvent pas être compris et vécus consciemment, la lutte pour ce symbole de l'amour se poursuivra. Une patiente m'a dit un jour qu'il lui semblait avoir toujours été montée sur des échasses. Comment un être toujours monté sur des échasses ne serait-il pas perpétuellement jaloux de ceux qui marchent sur leur propres jambes, même s'ils lui paraissent plus petits et plus "médiocres" que lui-même? Et comment ne serait-il pas, au fond de lui, dévoré d'une colère contenue contre ceux qui l'ont amené à ne pas oser marcher sans échasse? Au fond, l'individu sain suscite l'envie parce qu'il n'a pas besoin de s'efforcer continuellement d'être admirable, parce qu'il n'a pas à chercher à paraître comme ceci ou comme cela, mais peut tout tranquillement se permettre d'être comme il est.
Le "grandiose" n'est jamais réellement libre, car il est constamment dépendant de l'admiration des autres, et parce que cette admiration est liée à des qualités, des fonctions et des performances qui peuvent brutalement s'écrouler.

... On peut donc voir en la dépression un signe direct de la perte du Soi, à savoir le déni de ses propres sentiments et réactions affectives. Ce déni a commencé chez l'enfant, pour lui permettre de s'adapter, une nécessité vitale, car il avait peur de perdre l'amour de ses parents. C'est pourquoi la dépression renvoie à une blessure très ancienne. Dès le début, le nourrisson a connu une carence dans des domaines affectifs donnés, qui auraient mené à une conscience de soi stable. Certains enfants n'ont pas eu le droit de vivre librement leurs toutes premières sensations, comme le déplaisir, l'irritation, la colère, la douleur, le plaisir apporté par son propre corps, voire la sensation de faim.On entend parfois des mères raconter fièrement que leurs nourrissons ont appris à réprimer leur faim, et du moment qu'on leur procurait affectueusement un dérivatif, à attendre patiemment l'heure de la tétée.

...Rester attaché, sans le moindre esprit critique, aux idées traditionnelles sur l'amour et la morale est une bonne façon de voiler ou de refouler les réalités de sa propre histoire. mais sans le libre accès à ces faits, ces réalités, les racines de l'amour sont coupées. Rien d'étonnant à ce qu'alors les appels à nous comporter, les uns envers les autres, avec affection, générosité et compassion restent vains. Nous ne pouvons pas aimer vraiment s'il nous est interdit de voir notre vérité, la vérité sur nos parents et nos éducateurs, mais aussi sur nous-mêmes. Nous pouvons seulement faire semblant d'aimer. mais ce comportement hypocrite est le contraire de l'amour. Il sème la confusion, mystifie, et surtout il induit en l'autre une rage impuissante, qui doit être refoulée, ne peut jamais être vécue consciemment, et se montre donc destructrice. En particulier quand l'intéressé a terriblement besoin de croire à ce prétendu amour. Beaucoup de gens pourraient sans doute devenir plus sincères, ce qui signifie également moins destructifs, si les leaders religieux reconnaissaient ces simples lois psychiques. Au lieu de les ignorer, il leur suffirait de regarder un peu mieux autour d'eux et de voir l'ampleur des dégâts causés par l'hypocrisie, dans les familles, dans la vie publique, dans la société toute entière.

...Nous les adultes, nous n'avons pas besoin d'un amour inconditionnel. Pas même de la part de notre thérapeute. C'est là un besoin infantile, impossible à assouvir par la suite. Qui n'a pas pleuré cette perte dans son enfance se nourrit d'illusions. Notre thérapeute doit faire preuve d'honnêteté, de respect, de confiance, d'empathie et de compréhension à notre égard, nous avons aussi besoin de sa capacité à tirer au clair ses propres sentiments et à ne pas nous en faire porter le poids. Et tout cela, nous pouvons l'obtenir. mais si quelqu'un nous promet de nous aimer "inconditionnellement", peut-être devrions-nous ous méfier.

samedi 25 septembre 2010

La taloche

Qui opte pour la vérité ne se livrera pas à des hommes qui lui promettent le salut par la destruction d’autres humains. Car il saura que cette soif de destruction n’est pas un besoin humain primaire, apaisé une fois satisfait, mais une quête permanente et pervertie de vengeance (…) Alice Miller, « Abattre le mur du silence »

Aujourd’hui, nous vivons dans un Monde où la taloche semble être devenu le moyen n°1 de se faire respecter. Vous ne payez pas vos factures ? Taloche. Cela a au moins le mérite d’être efficace.

La taloche est omniprésente et il serait bon de s’interroger sur on origine, et comment nous en sommes arrivés au point d’accepter de vivre passivement sous son joug.

Mais en est-il vraiment ainsi ? Ne serait-ce pas plutôt ce que l’on a tenté de nous faire croire ? Car sous le joug de la taloche se cache un mécanisme qui se nourrit de la peur : peur d’être puni, peur de recevoir une taloche. Dans certains cas, ne serait-il pas moins douloureux de se prendre une taloche, plutôt que de faire une entrave à nos sentiments, s’exposant ainsi à leur refoulement, ce qui va nous permettre, au final, de revivre une bonne « peur de la taloche » dans chaque situation similaire ? Ce durant toute notre vie, dans des situations aussi diverses qu’infinies ?

« La vie est dure »
« La vie ne fait pas de cadeau »

On dit souvent que ce n’est qu’une question de point de vue, mais si l’on prend la peine de se pencher sur la question de façon un peu plus objective, l’on peut se rendre compte que nous vivons dans un système somme toute bien rôdé, traitant nos maux à grand renfort de médicaments et de pensée positive.

Ouvrons les yeux, soyons objectifs et acceptons la vérité.

Comment est-il CONCEVABLE que les psys, les « médecins de l’esprit, des émotions », procèdent à la prescription de médicaments ?

Si l’on traite du domaine psychique, de l’esprit, de l’émotion, ne doivent-ils pas être en mesure de comprendre, traiter cela tout en restant dans ce cadre-là ?

N’a-t’il pas été démontré que les médicaments offrent une action temporaire sur le symptôme alors qu’il y a un mal de « racine » à soigner ?

Il est plausible et concevable que la prise de médicaments puisse dans certains cas être bénéfiques et apporter une solution à un mal-être, mais quid des effets secondaires ?

Quid de la généralisation de l’utilisation GENERALISEE d’antidépresseurs ?

Quid du nombre de personnes les utilisant pour soulager leurs maux, même en dehors du cadre de la thérapie ?

Aujourd’hui, il est peut-être bon de se rendre compte de l’obsolescence de ce système, en constatant son inefficacité, car si nous parvenons aujourd’hui en tant qu’adultes à percevoir ne serait-ce qu’une once de son action destructrice, nous avons commencé à en faire les frais durant notre enfance, alors que nous n’avions pas les moyens d’identifier la taloche pour ce qu’elle était : de la maltraitance pure et simple.

Il nous faut réussir à voir une action telle qu’elle est : si elle est blessante, c’est blessant. Et ce n’est pas acceptable. Peut-être que la personne qui agit ainsi ne se rend pas compte de l’effet et de la portée de ses actes, ou qu’elle arrive à se les justifier. Cela n’en reste pas moins un acte hautement destructeur. La taloche peut être d’ordre physique ou psychique, et prendre la forme d’une phrase assassine comme celle d’une fessée.

C’est la réalité, et jamais ‘foutre une taloche’ n’a aidé quelqu’un. Aujourd’hui, l’on retrouve cette singulière ‘façon d’aider’ dans bien des situations, et se soldant par d’innombrables souffrances.

Mais la taloche fait mal, et nous n’aimons pas avoir mal. Il n’est pas possible qu’il en soit autrement. Et il nous faut accepter que nous portons tous cette vérité en nous.

Nous l’avons simplement oubliée, ou plutôt refoulée en acceptant des phrases telles que « c’est pour ton bien », le plus souvent durant notre enfance. Ainsi, le déni de ce principe de base permettra à la douleur de la taloche de nous accompagner, tant que nous ne l’aurons pas identifié.

Aujourd’hui, la plupart des thérapeutes nous prescrivent des médicaments tout en nous servant des solutions de refoulement quant aux douleurs que nous avons subies, en nous suggérant de les identifier comme étant « pour notre bien » ou encore « ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient » et qu’il nous faut maintenant « pardonner et laisser derrière nous ».

Pire encore, sous le couvert de « traditions » ou de concepts moraux tels que « tu honoreras tes parents », nous avons l’interdiction de vivre l’émotion qui découle normalement de telle ou telle situation, ou encore d’ « avoir raison ».

Je souhaite soulever un principe essentiel : l’émotion ressentie d’alors n’a pas été vécue, et elle a été réprimée. Lors d’une situation douloureuse, telle émotion surgit, et nous avons malheureusement bien des raisons de ne pas la vivre de façon authentique.

« Arrête de pleurer »

Nous avons vécu des situations intolérables ou des sentiments très forts ont surgi, mais nous ne les avons pas suivis. Nous n’avons pas pu les suivre. Nous ne nous sommes pas écoutés. Et il est clair que pour la plupart d’entre nous ne le pouvions pas, car étant face à des individus en position de pouvoir, physique ou émotionnel. Cette position de pouvoir inclut bien évidemment l’ « amour parental ».

Dans ces circonstances, nous n’avons pas la possibilité de vivre l’émotion de façon authentique, parce que nous ne comprenons pas pourquoi des personnes avec qui nous sommes censés partager une relation d’amour nous fassent souffrir de façon manifeste (une taloche, ça fait mal).

Comme si le devoir d’aimer enlevait/absolvait l’acte qui s’est produit.

Malheureusement, si nous n’avons pas les clés pour comprendre et se cramponner à l’idée qu’ils nous ont réellement blessés, et qu’il ne s’agit pas là d’une relation respectant la personne humaine, nous allons accepter une autre explication pour la taloche reçue.

« Mets-toi à ma place »
« C’est une question de point de vue »
« Peut-être, qu’au fond, ils ont eu raison. »

Ainsi, nous arrivons à justifier la souffrance reçue, et par la même occasion, un acte souvent injuste et même impardonnable.

Nous allons donc nous expliquer ce qui s’est passé différemment de la vérité, et développer une conception erronée. Or, l’acte délictueux s’étant bel et bien produit et l’émotion douloureuse qui en découle étant également « présente sur le ring », nous allons devoir nous « mentir à nous-même », refouler cette émotion.

Lorsque cette situation se produit durant l’enfance, la vérité est bien trop insupportable à supporter pour un enfant, et le déni est le seul moyen qu’il ait à sa disposition pour s’en prémunir. L’enfant bâtit alors un mur, un rempart le protégeant de la douloureuse vérité : telle personne n’est pas capable d’assurer à l’enfant l’amour inconditionnel qu’il mérite ; au contraire, telle personne l’a maltraité, et est par cet acte même une menace pour sa sécurité.

Dans tous les cas, l’émotion n’ayant pas été vécue de façon authentique, elle va « rester là », on va la « déposer là », en nous. Malheureusement, elle ne peut pas juste « rester là » et va bien devoir se manifester d’une façon ou d’une autre, car c’est le propre des émotions, non ?

Ainsi, ce « poids qui vit et tient à s’exprimer » s’apparente plus dans à une boule épineuse posée sur notre chair à vif ; nous ne l’avons pas reconnue comme telle dès le départ, sinon nous aurions peut-être pu agir plus en adéquation face à cette émotion (malheureusement il s’agit souvent de situations insoutenables dans lesquelles nous n’avons pas les moyens de réagir de façon appropriée, sous des influences telles que la menace, nous n’avons pas eu d’autre choix que d’accepter et subir).

Mais cette émotion est là et va continuer à piquer, meurtrir, à diffuser son caractère originel ; cela peut être de la colère, de la haine, de la tristesse, du chagrin, de la honte, de la révolte…
Comme nous ne l’avons pas reconnue, identifiée et ainsi vécue pour ce qu’elle est, elle va non seulement continuer à se manifester, mais différemment de sa propre nature, et ce ne sera pas en phase avec la vérité. C’est la raison pour laquelle la tristesse pourra céder sa place à la furie, comme l’expliquait Georges Bucay dans l'une de ses nouvelles de son livre "Je suis né aujourd'hui au lever du jour".

Ainsi, la personne concernée, incapable d’identifier la source de son mal-être, en attribuera probablement la responsabilité à d’autres facteurs, sera sujette à des comportements décalés par rapport à la réalité, alors qu’au fond, cette personne souffre.

Le temps passe et ce bagage émotionnel est toujours présent ; il s’amplifie, et nous arrivons au point où le seul moyen de ne pas faire face à notre émotion, à nous-même, sera de talocher les autres. En talochant l’autre, l’on trouve un peu de répit.

Bienvenue...

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